French

CINEMANIA 2025: Indomptables | Interview avec Thomas Ngijol

“Pour un enfant d’immigré, de retourner au pays, et de faire ce film, c’est un accomplissement pour moi”, nous a confié Thomas Ngijol sur son long métrage Indomptables, tourné au Cameroun.

Read this article in English.

Thomas Ngijol n’en finit plus d’élargir sa palette et de convaincre. Humoriste reconnu en France, il signe avec son quatrième long métrage en tant que réalisateur une nouvelle étape majeure : Indomptables lui a ouvert les portes du Festival de Cannes 2025, où il a été présenté à la Quinzaine des cinéastes.

Dans les rues de Yaoundé, le commissaire Billong, interprété par Thomas Ngijol lui-même, enquête sur le meurtre d’un collègue policier. Cette investigation, fil rouge du récit, permet au cinéaste de dépeindre, derrière l’apparence d’un polar, la société camerounaise contemporaine, sa vitalité et les pesanteurs qui la contraignent, avec une intensité mêlée de tendresse. Le résultat : un film de terrain, profondément ancré dans la réalité des personnes transposées à l’écran, au réalisme fort et prenant. Et un film camerounais. Signé par Thomas Ngijol, né en France de parents camerounais, qui a puisé dans sa vie et ses racines pour nourrir son œuvre.

« Même si j’évolue sur le territoire français et que j’ai grandi en France, mes origines sont ailleurs. » Un ailleurs, le Cameroun, avec lequel il entretient depuis toujours un lien profond. « Je connais mon pays depuis que je suis petit, dans le sens de ses racines, et j’ai capté l’essence du pays. » Une relation vivante, toujours en mouvement : « Et même à mon âge, aujourd’hui, je suis toujours en quête de ne pas oublier ces racines, ces valeurs et ces préceptes avec lesquels on m’a éduqué. » Au point qu’il a ressenti un véritable besoin de tourner un film au Cameroun : « J’étais arrivé à un moment où j’avais besoin, où j’avais envie d’exprimer ces choses-là. […] Il fallait que je trouve juste la porte d’entrée. » Celle-ci s’est ouverte en 2021 lors d’un voyage au Cameroun pour assister à la Coupe d’Afrique des Nations ; les idées qui germaient ont soudain trouvé un lieu, un ancrage. « J’ai eu un déclic. […] J’étais là-bas, j’observais, et j’ai vu le lieu où je pouvais tourner, où mes idées pouvaient prendre vie. »

Au cœur d’Indomptables, on retrouve donc le commissaire Billong, un dépositaire de l’autorité étatique et familiale, à la fois bienveillant et correcteur envers ses collègues, sa famille et toutes les personnes qu’il croise. Dans un monde où certains cèdent à la corruption, à la facilité ou à la débauche, il recadre tout le monde, distribue remarques et réprimandes, râle volontiers, avec un air désabusé voire défaitiste. Donneur de leçons parfois autoritaire ou trop péremptoire, il n’en reste pas moins sincèrement animé par un sens de la justice et de l’honneur. « C’est un peu une sorte de figure paternelle. […] Moi, il me touche parce qu’il est maladroit, parce qu’il n’a pas les codes, mais il veut bien faire. »

Le cinéaste épargne toutefois son personnage de tout jugement. « En Occident, on vit en quelque sorte dans une bulle de confort et chacun croit avoir sa vérité alors qu’elle est nulle part. […] Il y a des sociétés qui ont leur complexité et c’est important d’essayer de les comprendre avant de les juger. » Il précise sa démarche : « J’ai essayé de prendre en compte cette complexité sans être dans un jugement, sans avoir mon prisme de réalisateur, auteur, acteur français. J’ai essayé d’être dans le vrai pour pas tricher. »

Cette approche irrigue également la mise en scène, véritable force du film. Une sorte de théâtre humain bouillonnant se déploie devant une caméra humble, qui ne cherche pas à démontrer via de grands effets de manche, mais capte avec précision l’organicité de la vie. Une caméra qui fait confiance aux comédiens et trouve sa justesse au cœur du chaos.

Untamable (Dir. Thomas Ngijol, France, 81 min, 2025)

Thomas Ngijol rappelle que le film est librement inspiré du documentaire Un crime à Abidjan (1999) de Mosco Levi Boucault. « La vérité du documentaire, elle m’a beaucoup fait envie, et je me suis dit que je devais travailler la même distance avec les personnages. »

Une spontanéité, une vérité, un réalisme nourrissent ainsi le film et en constituent la force. « Je connais bien la société camerounaise, elle est organique, ça bouillonne, ce n’est pas calme. Moi j’avais besoin de ça en fait. […] Quand je vois l’Afrique trop esthétisée dans certains films, quand je vois cette Afrique un peu belle, un peu molle, ce n’est pas fidèle. » L’Afrique est vivante, et il était impensable pour lui de ne pas embrasser cette réalité : « C’est vivant dans le bien ou dans le mal. Mais il se passe quelque chose. Et j’avais envie de retrouver ça, quoi. […] Et la beauté du film se trouve dans cette vérité aussi me semble-t-il. »

Cela l’a conduit à composer avec le réel, tel qu’il est : « Je n’ai pas transformé les quartiers » dans lesquels le film a été tourné. « On n’a pas stylisé les choses, on les a prises telles quelles dans leur vérité. Les choses sont belles dans leur vérité. »

Même approche pour la représentation de la violence : « Je n’ai aucune attirance pour la violence, mais elle ne me fait pas peur. Donc si elle doit être filmée, elle est filmée. Je ne m’attarde pas : la violence brute seulement, ça fait partie de la vie. »

Il précise : « La violence existe partout. […] Ce n’est pas non plus une création camerounaise. Donc mon travail, c’était de rester dans cette justesse, de ne pas trop en faire, de ne pas styliser les choses, de ne pas magnifier la misère. J’ai trop de respect pour ça. » Une véritable éthique : « Ça dépasse même mon travail de cinéaste, c’est une histoire d’éducation. » Et d’ajouter : « Je n’aime pas jouer de la pauvreté, j’aime pas jouer de la violence. Je ne suis pas à l’aise avec la surenchère. […] C’est vrai que j’essaye toujours d’être vigilant à cet endroit-là parce que, malgré l’éducation, on peut être maladroit. »

Pour insuffler cette matière vivante, Thomas Ngijol s’est largement inspiré de son vécu et de sa famille, injectant au premier comme à l’arrière-plan, dans les dialogues, les situations, des fragments de vie et des mots entendus, qui enrichissent le film. « Je suis convaincu que pour parler aux gens, il faut être intime, il faut être sincère. » dit-il.

Cette intimité et cette sincérité sont aussi un moyen de parler au plus grand nombre : « Je savais qu’au-delà de mes origines camerounaises, mon œuvre allait résonner dans un public français, dans un public du Maghreb et au-delà. […] On a des histoires différentes mais communes par le passé colonial, et tout un tas de choses dans l’éducation. Donc je savais qu’il y avait des choses qui allaient résonner. » Avant de résumer d’une belle formule : « Quand l’intime devient universel, c’est là où notre travail prend tout son sens. »

La présentation du film au Cameroun apparaissait notamment comme une étape incontournable de ce voyage de cinéma. « Après l’épreuve cannoise, j’ai eu l’épreuve d’aller présenter mon film au Cameroun », raconte Thomas Ngijol, dont la première cannoise à la Quinzaine avait suscité de beaux retours critiques. « Au Cameroun, il n’y a pas de palme d’or, il n’y a pas de Quinzaine, mais une pression totalement différente, qui est là, et c’est un challenge très important à relever. » Un défi relevé avec succès : « Ça a été une énorme fierté, un bonheur absolu de projeter le film là-bas, de voir la réaction des gens, l’adhésion des gens, avec évidemment son lot de conversations post-film toujours dans la bienveillance, parce qu’ils ont adhéré au film. […] Et ça, ça n’a pas de prix. »

Une fierté résumée ainsi : « Je suis né à Paris, j’ai grandi en France, je vais certes au Cameroun, mais je ne suis pas un habitant du Cameroun. Et pour un enfant d’immigré, de retourner au pays, de faire ça, c’est un accomplissement pour moi. Et ça ne vaut peut-être pas toutes les palmes d’or du monde, mais ça vaut beaucoup. »

Indomptables a célébré sa première canadienne à l’occasion de la 31e édition du festival CINEMANIA.

Mehdi Balamissa

Mehdi Balamissa is a Franco-Moroccan documentary film passionate who lives in Montreal, Canada. Mehdi has held key positions in programming, communication, and partnerships at various festivals worldwide, including Doc Edge, the Austin Film Festival, FIPADOC, and RIDM. In 2019, he founded Film Fest Report to promote independent cinema from all backgrounds, which led him to have the pleasure of working alongside incredibly talented and inspiring collaborators.

Related Articles

Back to top button