RIDM 2025: Les blues du bleuet (réal. Andrés Livov) | Critique
Chaque année, au Lac-Saint-Jean, les champs se couvrent de petites billes d’un bleu profond. Elles attirent, comme une migration silencieuse, toutes sortes de gens venus prêter main-forte à la cueillette des célèbres bleuets : jeunes et moins jeunes, Québécois de souche ou d’adoption, comme travailleurs migrants. Depuis des décennies, on y cueille cet « or bleu » à la main, à l’aide d’outils artisanaux ou de machines plus efficaces, mais toujours avec la même délicatesse.
Ces personnes, rassemblées par l’abondance des petits bleuets, se penchent ensemble dans un même geste humble, répétitif, et forçant à la patience devant l’immensité de la tâche. Cueillir à la main impose le lâcher-prise : s’abandonner au processus et avoir confiance dans le fait que la somme de ces petits gestes finira par accomplir la grande tâche. Et c’est exactement ce que propose le film : ralentir, apprécier, accepter. Et guérir, peut-être.
Les blues du bleuet est un film délicat, sensible, porté par une image douce et posée. Un regard tendre, attentif aux êtres qu’il filme, à ces petites choses qu’on oublie parfois de célébrer. C’est un film qui respire au rythme de ceux qui l’habitent.
Parmi les scènes qui le traversent comme un fil de soie, celle des deux pilotes dans leur petit avion est d’une poésie rare. Serrés dans le cockpit qu’ils emplissent presque entièrement, coiffés de leurs beaux uniformes de pilotes, ils survolent la région comme on se promène dans un rêve suspendu. Le vrombissement du moteur du petit appareil s’efface pour laisser toute la place à leur conversation : la voix douce et lumineuse du copilote se lance dans une errance réflexive sur la musique classique, sur la vie, son sens, et ce qui l’émeut. Une parole apaisante et aérienne, au cœur d’une scène magique, à l’image de ce que Livov parvient à glaner dans cette mosaïque d’êtres qui insufflent un élan de vie et de lumière au Lac-Saint-Jean.
Il y a aussi Carmen, la tenancière d’une petite friterie, dont la bonhomie, la fantaisie douce et le goût du partage transforment bien des instants qu’elle offre à la caméra en moment précieux. Malgré la douleur que l’on devine persistante du décès de sa fille, elle offre au cinéaste, comme à celles et ceux qui la côtoient, une chaleur authentique et réconfortante. C’est aussi le cas de cet homme âgé qui aime pousser la chansonnette dans les maisons de retraite : son bonheur naît simplement du sourire qu’il fait apparaître sur les visages. Une joie discrète, franche et authentique.
La musique est aussi un motif travaillé par Livov. Qu’elle émane de la diégèse du film ou qu’elle en soit extérieure, elle tisse une enveloppe chaude et lyrique accompagnant le ballet de la vie qui s’écoule au Lac-Saint-Jean.
Car dans Les Blues du bleuet, la vie s’écoule comme elle le doit. On ne s’y lamente ni de sa dureté ni de ses injustices ; on choisit plutôt d’y célébrer la résilience de ses habitants et les éclats de magie. Les conversations entre travailleurs saisonniers comme celles des anciens du coin ne portent ni lourdeur ni mélancolie. Par touches spontanées, elles dessinent un paysage de solidarité, de quête de liens, de partage, de bienveillance.
À plusieurs endroits, le documentaire évoque subtilement la question du deuil et du renouveau. Les feux de forêt qui ravagent régulièrement le Québec ne sont pas montrés seulement comme des agents de désolation, mais comme les composantes d’un cycle indispensable, celui qui permet aux bleuets d’éclore de nouveau. Le film accompagne ainsi, en douceur, cette idée que la mort fait partie du mouvement de la vie.
Voilà une autre force du travail d’Andrés Livov. Le film ne présente pas la notion de cycle avec un regard cynique. Le cinéaste semble y voir à l’inverse les bienfaits de régénération et de cet élan vital qui revient toujours. Les époques passent, des êtres chers s’éteignent, mais à l’image des bleuets qui reviennent chaque année, le cycle de la vie se poursuit.
Les blues du bleuet déploie avec douceur et humilité une œuvre qui célèbre la vie et la solidarité. Andrés Livov signe un film singulièrement réconfortant, empli d’éclats d’humanité. Un film qui accompagne le deuil et qui guide doucement vers la lumière. Une étreinte chaude et douce, qui invite à la gratitude.
The 28th edition of Montreal International Documentary Festival (RIDM) is running on November 20-30, 2025 in Montreal, Canada.



