CINEMANIA 2025: Sirât (réal. Óliver Laxe) | Critique
Le quatrième long-métrage du cinéaste franco-espagnol Óliver Laxe a déjà fait couler beaucoup d’encre depuis sa présentation fracassante sur la Croisette en mai dernier, d’où il est reparti avec le Prix du Jury ex æquo. Sirât détonne, choque, désarçonne. C’est une plongée dans un monde autre, intérieur peut-être, une expérience à la fois planante et rugueuse, surprenante et durablement marquante, déployant une imagerie en partie inédite au cinéma.
À l’occasion de la première québécoise du film à la 31e édition de CINEMANIA, je souhaite partager une clé de lecture qui m’est apparue au visionnage, une lecture parmi d’autres possibles, tant le film semble ouvert à de multiples interprétations.
Sirât me semble évoquer l’extinction de l’humanité, conséquence d’un dérèglement climatique irréversible rendant notre monde de moins en moins habitable. Au cœur du film, des individus aux corps marqués, balafrés, amputés, décharnés. Des corps abîmés, que seuls le LSD et la musique réveillent nerveusement dans une danse techno proche de la transe, une sorte de dernier spasme, les soubresauts d’un corps au bord de la mort. Une danse rythmée, répétitive, minimaliste, évoquant la pulsation d’un électrocardiogramme. Les derniers fragments de vie présents dans ces êtres ne sont que d’une nature mécanique.
Le tout se déroule dans un décor d’une aridité extrême, le plus inhospitalier, le plus impropre à la vie qui soit. Une nature morte, qui nous indique que Sirât se situe déjà aux confins de l’humanité, dans l’antichambre de la fin, de la mort. Et nous sommes avec des êtres abîmés, frôlant cette ultime frontière.
Dans cet environnement où le spectateur est d’abord introduit quelque peu maladroitement, tenu à distance par une musique extradiégétique qui empêche de pénétrer pleinement dans la rave party d’ouverture, Óliver Laxe nous immerge ensuite de façon viscérale, jusqu’au terme du film. Il y déploie une imagerie rare, sinon unique. Certains plans resteront probablement iconiques, comme ces véhicules lancés à toute vitesse dans la nuit noire, phares allumés, plongeant dans le désert autant qu’ils plongent dans l’intériorité de nos personnages.
Puis, comme une allégorie des conséquences du désastre climatique, certains personnages seront fauchés, d’autres épargnés, sans logique, sans justice. Les victimes du changement climatique s’accumulent, et notre environnement habitable se rétrécit inexorablement. Le terrain sur lequel nos personnages sont en mesure de poser le pied devient de plus en plus étroit. Chaque espace viable se fait plus rare, plus fragile.
Jusqu’à ne devenir qu’une arche de Noé, sur des rails, traversant un désert miné : un ultime refuge, et une métaphore des migrations forcées entreprises pour survivre, tant bien que mal.
Et finalement, dans ces derniers instants de l’humanité, face à l’extinction, il ne reste qu’une chose : la solidarité. Celle d’un père qui, d’abord réticent à partager ses provisions avec ses compagnons d’aventure, finit par s’y résoudre. L’entraide, le partage, l’attention à l’autre, symbolisés entre autres par cette bouteille d’eau qui passe de main en main dans l’un des ultimes plans du film.
Cette lecture n’en est sans doute qu’une parmi tant d’autres. Elle témoigne surtout de la puissance et du pouvoir évocateur du tour de force accompli par Óliver Laxe. Une œuvre qui aura, sans conteste, marqué l’année de cinéma.



