French

CINEMANIA 2025: La Petite Dernière | Interview de Nadia Melliti

La comédienne Nadia Melliti impressionne autant par son magnétisme à l’écran que par la sincérité et la générosité avec lesquelles elle évoque sa première expérience au cinéma.

Read this article in English.

Dans un milieu du cinéma parfois trop conscient de lui-même, ou enfermé dans une posture un peu distante, Nadia Melliti dénote par sa fraîcheur, sa spontanéité et une générosité sincère. Révélée dans La Petite Dernière (2025), le troisième long-métrage d’Hafsia Herzi, elle a marqué les esprits à Cannes, d’où elle est repartie avec le prix d’interprétation féminine. Une récompense méritée qui célèbre sa performance brillamment subtile et magnétique dans sa toute première expérience de cinéma, après avoir été repérée par hasard dans un casting sauvage dans les rues de Paris.

Ce qu’elle semble apprécier le plus, au-delà de cette célébrité naissante, c’est cette découverte d’un nouveau monde : celui du jeu, du cinéma, qui s’ajoute désormais à sa passion pour le sport, elle qui adore le football et semble ne jamais rien faire à moitié. Avec le cinéma, elle a trouvé un nouvel espace pour s’exprimer. Et si son talent est évident, on est surtout frappé par sa lucidité : sa manière de nommer ce qu’implique le métier d’actrice, entre l’ivresse du jeu et le travail nécessaire pour grandir, comprendre, et rendre un personnage profondément vivant.

À l’occasion de la 31e édition du festival CINEMANIA, j’ai eu la chance de m’entretenir avec la comédienne venue accompagner la présentation de La Petite Dernière à Montréal. Un long-métrage dans lequel elle interprète Fatima, une jeune femme de 17 ans, dont la discrétion et la retenue ne sauraient cacher entièrement un bouillonnement interne lié à l’affirmation balbutiante de son homosexualité. Musulmane et très proche de sa famille, elle rêve, dans un monde idéal, de pouvoir accorder toutes les facettes de sa vie et de sa personnalité. Le film, dont Nadia Melliti est de quasiment tous les plans, est également porté par la mise en scène intime et sensible d’Hafsia Herzi, et raconte un éveil, une révélation, une affirmation. Par petites touches, le film fait naître puis grandir une émotion qui s’installe et qui emporte, avec une justesse remarquable, en devenant une œuvre de cinéma douce et sensuelle à la résonance universelle.

Un personnage à la “personnalité de feu”

Au point de départ de cette aventure de cinéma, il y a la découverte par Nadia Melliti du livre de Fatima Daas, dont le film éponyme réalisé par Hafsia Herzi est adapté. “J’ai adoré ce roman”, confie la comédienne. Elle y rencontre le personnage de la jeune Fatima, qui tente de concilier sa culture musulmane et une homosexualité qui s’affirme doucement : “C’est un personnage qui essaie de se frayer un chemin là où la société lui dit que ce n’est pas possible. Mais ce personnage a envie, elle est combative, elle lutte, elle a envie de faire les deux.” Un personnage pour lequel Nadia Melliti a immédiatement éprouvé une profonde admiration : “J’ai vu son caractère et sa personnalité de feu. Elle avance, tout droit, elle sait ce qu’elle veut. Et c’est vrai qu’elle se pose des questions comme on le fait tous, car on est tous fait de contradictions. Mais elle va essayer de se frayer un chemin.” La question se pose alors pour Nadia : “Comment vais-je faire pour interpréter ce personnage sans avoir eu le vécu nécessaire pour l’interpréter ?” 

Pour Nadia Melliti, le travail d’interprétation commence par une profonde compréhension de son personnage, puis elle se nourrit de sa première grande passion : le football. “Je vais puiser dans ce que je connais, le vécu de sportive, la mentalité, la combativité, la concentration, la peur de rien finalement, si ce n’est de soi parfois. Et tout de suite je m’imagine un personnage qui va ressembler à cette mentalité sportive, qui ne s’arrête pas aux commentaires négatifs par exemple. […] Ce personnage est dans un univers où tout semble la pousser vers un “Non”. Mais elle, elle cherche son “Oui” et quel chemin emprunter pour y parvenir.

La Petite Dernière (Dir. Hafsia Herzi, France, Germany, 106 min, 2025) | © June

S’abandonner pour devenir quelqu’un d’autre

Devant la caméra d’Hafsia Herzi, quelque chose se produit alors : la magie du cinéma opère, et Nadia Melliti se transforme. “Je deviens ce personnage qui ne s’accepte pas, ce personnage qui est en lutte, ce personnage qui parle à très peu de gens.” Sur le plateau, elle devient Fatima, dans une forme d’abandon total qu’elle décrit avec précision et passion : “En interprétant Fatima, il fallait que quelque part, je m’abandonne. Parce que je ne pouvais pas prendre ma propre expérience de vie. Elle est très différente de celle de Fatima et donc on n’a pas la même approche. […] Donc quand tu t’abandonnes, tu deviens ce personnage là. Et en devenant ce personnage là, tu oublies aussi que tu es toi-même.”

Une découverte grisante pour cette jeune comédienne, qui entrevoit un nouveau territoire intérieur : “Quand tu deviens ton personnage, tu es assez fière de ton travail, tu te dis que tu as réussi à sortir de ta zone de confort pour devenir quelqu’un de différent. Et je pense que c’est ce qui fait la beauté de ce métier aussi, c’est de devenir quelqu’un d’autre.”

Improviser, lâcher prise, devenir une autre. Ça y est, le métier “rentre” et Nadia Melliti s’y épanouit pleinement : “Le ressenti que ça me procure, c’est que ça fait du bien. Parce que je me dis que je viens de franchir une étape qui est difficile, qui est très difficile. Parce que c’est dur quand même de s’abandonner, d’oublier tout ce qui émane de toi, ta façon de penser, ta façon d’interagir, pour devenir quelqu’un d’autre. Mais c’est très intéressant à faire. Et moi en tout cas, j’ai pris du plaisir à me transformer.

Dès les répétitions, elle prend goût à cet art nouveau pour elle : “Aux prémices de cette aventure, lorsque j’ai commencé les répétitions avec la directrice de casting, c’est la chose que j’ai adoré en fait. Faire de l’improvisation, c’est la chose que j’ai adoré tout de suite parce que je me suis dit “Ouah, mais en fait, je ne suis plus moi !”. Alors je pouvais dire que j’étais astronaute, que j’étais parti sur la lune avec un chien, et on pouvait y croire ! Et je trouve que c’est beau.”

Sous le regard bienveillant et encourageant d’Hafsia Herzi

Pour atteindre cet état d’abandon, l’environnement autour des comédiens et comédiennes est crucial. Nadia Melliti insiste sur ce point : “Avoir un climat positif, un environnement favorable à ta réussite, ça aide énormément. […] Et quand tu es accompagnée par une réalisatrice et que tu as une superbe équipe, une équipe qui croit en toi, une équipe qui te soutient, qui est respectueuse, qui est bienveillante, je pense que ça facilite énormément le travail.”

La comédienne ne tarit pas d’éloges envers Hafsia Herzi, qui a su la mettre à l’aise, l’encourager et l’accompagner dans son épanouissement : “Hafsia Herzi donne énormément de liberté. C’est une réalisatrice d’un calme et d’une sérénité juste folles. Je ne l’ai jamais vue s’énerver sur le plateau et au contraire, elle est très encourageante.” Actrice elle-même avant de devenir réalisatrice, Hafsia Herzi sait manifestement comment travailler avec ses comédiennes : “Elle nous motive, elle nous pousse à croire en nous, en nos capacités. Et d’ailleurs, elle me disait cette phrase assez souvent : “Il faut que tu sentes dans tes tripes que ça émane de toi, que c’est là, dans ton ventre, comme si tu voulais le faire ressortir.” Et c’est une chose qui m’a beaucoup aidée.”

Entre la réalisatrice et sa jeune actrice, l’alchimie a été immédiate : “Avec Hafsia, on a cette capacité à se comprendre sans dire grand chose. Je pense que l’intuition est très forte. Dès notre rencontre, j’ai senti que je pouvais lui faire confiance. […] J’ai senti qu’elle n’avait pas de prétention, qu’elle était très humble.”

“N’oublie pas que ce n’est pas toi, c’est un personnage”

Si Hafsia Herzi a aidé Nadia Melliti à se transformer en Fatima le temps du tournage, elle n’a pas manqué de lui transmettre une leçon essentielle : plus important encore que l’abandon, c’est la maîtrise de celui-ci qui permet de rester capable d’enchaîner les scènes, surtout lorsqu’elles ne sont pas tournées dans l’ordre chronologique du film.

“Quand tu passes de scènes joviales où on rigole en famille à quelque chose de beaucoup plus intense, quand Fatima pleure ou quand elle se bat par exemple, tu dois conserver ton énergie et en même temps, tu ne dois pas la laisser s’échapper parce que si elle t’échappe, ça va prendre quand même du temps pour la récupérer.”

Nadia Melliti en tire avec lucidité la leçon suivante : “Il faut quand même prendre du recul vis-à-vis de ce personnage que tu interprètes pour ne pas te laisser submerger.” Elle se rappelle d’un autre précieux conseil donné par Hafsia Herzi : “N’oublie pas que ce n’est pas toi, c’est un personnage.”

Elle confie avoir particulièrement compris cette idée lors du tournage de l’ultime scène du film, particulièrement émouvante, où elle donne la réplique à sa mère à l’écran : “C’était intense en émotions et quand on annonce “coupez”, que la caméra ne tourne plus, moi je continuais à pleurer. Donc ça m’a échappé quelque part. Le personnage s’échappe et pour aller le rattraper et revenir dans l’état initial, ça prend quand même un petit peu de temps.”

Lucide et avide d’apprendre, elle note : “Je pense que c’est dû à un manque d’expertise dans le domaine parce que je n’ai pas une carrière derrière moi, mais c’est quelque chose qui se travaille et les conseils de Hafsia, quand c’est une réalisatrice qui vous les donne avec bienveillance et qui vous comprend parce qu’elle a un vécu d’actrice, je pense que ça soulage.”

La Petite Dernière (Dir. Hafsia Herzi, France, Germany, 106 min, 2025) | © June

Arrêter de faire semblant que ces personnes n’existent pas

Pour conclure, Nadia Melliti se réjouit d’avoir participé à cette aventure cinématographique, qui donne naissance à une œuvre au message politique fort et qui contribue à représenter à l’écran une réalité trop rarement montrée, et qui l’est ici avec justesse et intelligence : “C’est un film qui parle beaucoup d’amour, avec un personnage très complexe, en proie à des thématiques complexes qui ont trait à la psychologie, la sociologie, la religion, l’homosexualité. Des questions taboues en France et dans d’autres pays d’ailleurs.

Elle salue le travail de la réalisatrice, qui a visiblement mené un long travail d’immersion auprès de la communauté LGBTQ+ pour préparer au mieux son scénario : “Et quelque part, il y a une part de souffrance que vit cette communauté aussi, qui n’est pas assez souvent mise en lumière.”

Nadia Melliti se reconnaît pleinement dans ce projet et est fière d’en porter les messages : “Je pense que c’est important d’arrêter de faire semblant que ces personnes n’existent pas puisqu’elles existent. Elles sont là, elles sont comme nous, elles ont un entourage, des envies de mariage, des envies de réussite dans la vie. Ce sont des personnes comme tout le monde et je ne comprends pas la cause ou la raison de leur non-représentation au cinéma. Mais en tout cas, ce film permet de les mettre en lumière, de leur attribuer une voix, de faire prendre conscience à des personnes qui ne connaissent pas cette communauté et qui n’en ont jamais entendu parler, ou bien même qui ont des clichés vis-à-vis de ces personnes là, qu’elles existent, et de se dire “Mais finalement ce n’est pas si simple pour ces personnes là. Et en même temps, il faut dire que la société ne leur facilite pas la tâche plus que ça.”

Tout est dit. Il ne reste plus qu’à souhaiter une belle continuation à ce magnifique long-métrage et tout le meilleur pour la carrière de Nadia Melliti, qui n’a pas fini de briller, d’inspirer et de faire rêver.

Mehdi Balamissa

Mehdi Balamissa is a Franco-Moroccan documentary film passionate who lives in Montreal, Canada. Mehdi has held key positions in programming, communication, and partnerships at various festivals worldwide, including Doc Edge, the Austin Film Festival, FIPADOC, and RIDM. In 2019, he founded Film Fest Report to promote independent cinema from all backgrounds, which led him to have the pleasure of working alongside incredibly talented and inspiring collaborators.

Related Articles

Back to top button